Patricia Camus

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1 rue des Roses
39160 Saint-Amour


« Le Printemps des poètes »
Mars 2018
Galerie des Cordeliers, Lons le Saunier


Je présente dans l’exposition, 2 versants de mon travail. L’un concerne des illustrations de livres, jeunesse et adultes, édités et 2 projets livres enfants en attente d’éditeur. L’autre partie, plus personnelle, concerne des peintures à l’huile, auxquelles j’ai dédié des textes philosophiques et poétiques, ceux de Michel Lamart, écrivain poète et romancier, et ceux de Georges Didi Huberman, philosophe de l’image historien d’art. J’ai grand plaisir à croiser ici, dans le cadre de cette expo, leurs réflexions et leur poétique, en contre point sonore à mes propres préoccupations artistiques, une concordance rapprochée, questionnant le sens et l’expérience, les enjeux et les pièges de la quête de beauté.

  • Michel Lamart avec des aphorismes, qu’il m’avait envoyés par amitié pour stimuler ma création, me proposant de les illustrer et qu’il a intitulé « Petite fabrique d’absolu ».
  • Georges Didi Huberman avec des extraits tirés de son livre essai « La peinture incarnée », où, partant d’un récit d’H. de Balzac, « Le chef d’œuvre inconnu », il explore les ressorts de la quête d’un idéal de beauté et la notion « d’incarnat », cette couleur obtenue par superpositions subtiles de jaune, de rouge et de bleu, censées faire « palpiter » la vie, sous la peau des nus représentés. Le nu comme métaphore de la beauté, la vie, le désir.

Illustrer leurs écrits ? Illustrer la beauté, quand l’objectif est justement de la chercher sans l’atteindre jamais ? Risquer le pléonasme, l’anecdote, l’application d’une règle de jeu ? … Ces mots se suffisaient trop à eux-mêmes, dans l’amour que je leur portais…

Ces beaux textes délivrent, avec pertinence et subtilité, avec clarté et connaissances, sensibilité et poésie, ce que, avec peine, depuis quelques années, je travaille à imager et à comprendre dans ma peinture.

Une illustration avant l’heure ? Des mots guides que je n’avais pas, une eau fraîche sur le front après un aride voyage.

Car le véritable sujet de ma peinture, comme pour ces textes, est la peinture elle-même : la forme qu’elle prend, le fond qu’elle contient, sont là pour donner un éclairage sur la beauté qu’elle cherche, et en retracer l’exploration, les embûches et découvertes, avec les repères et les lacunes qui sont les miens.

Bien des fois, au cours de mon travail, dans les moments de doute ou de solitude, leurs mots, parce qu’ils savaient traduire et sublimer les implications d’une pratique artistique, et qu’ils étaient pour moi, d’une émouvante justesse et élévation, me sont revenus, avec le sentiment d’une intime proximité et le rappel du courage qu’est la joie d’une conviction.

Et c’est tout naturellement, après maints dessins abandonnés, qu’ils ont finalement trouvé à se loger, à s’impliquer dans mes compositions picturales : les mots deviennent partie prenante, agissante, mais libres d’eux-mêmes, participant à l’aspect formel et au fondement de mes réalisations, sans impression de rajout.

Se faisant plutôt l’écho d’une heureuse rencontre, ils sont les témoins de ce que j’y avais vécu. Une association inhabituelle, mais j’en redemande, tant l’équilibre créé me comble et me rassure en désactivant le magistral de « l’effet peinture » et de la « figure artiste ».

La peinture a quelque chose d’impossible. Il me semble qu’elle est faite pour creuser, pour traverser, comme si ce qu’elle appelait de ses vœux se trouvait de l’autre côté, comme si elle voulait faire entrer l’espace, la vie du dehors, la réalité, ou un idéal inaccessible dans la toile.

La peinture en quête de sublime : la « Petite fabrique d’absolu » de Michel Lamart, « La femme incomparable » du « Chef-d’œuvre inconnu » d’H.de Balzac, qu’il s’agit de « désensevelir », dit G.D.H. « en ajoutant couches sur couches », « peindre les dessus pour faire voir les dessous », et finir par la perdre dans un chaos de peinture, excepté l’éclat d’un fragment de son corps.

Au-delà, ailleurs… Il me semble que la peinture peint quelque chose pour peindre autre chose… Peinture écran. Elle peint le plein pour peindre le vide, elle peint ce qui ne se voit pas, de l’inexistant, un inexistant qui regarde le spectateur, et où il peut se voir, s’il le veut, comme dans un miroir.

« Un exercice de miroitement » dit le cinéaste Bruno Dumont, et « de sincérité » à propos de ses films, où des acteurs non professionnels sont l’expression singulière et naturelle d’eux-mêmes, judicieusement attrapée par la caméra.

La peinture comme altérité. « Je puis devenir pleinement toi, quand je suis vraiment moi », dit Roland Barthes.

C’est pourquoi, fascinée depuis toujours par la profondeur et la transparence, qualités propres à la peinture à l’huile, j’en ai fait mon jardin personnel, et avec émotion, le centre de mon sujet, comme alternatives à l’expression esthétique et sensuelle de cette improbable beauté.

Une profondeur non pas atmosphérique (profondeur de champ), mais de pénétration et de présence. L’âme de la peinture. Une traversée de la toile.

Par contraste, le plan frontal de la surface du tableau est travaillé avec précision et physicalité, les yeux trouvent l’accroche et l’ancrage nécessaire. C’est le corps de la peinture : postée devant la figuration de cette avant-scène, je me prends à peser la solidité, la rugosité d’une roche, la fermeté d’un sol terrestre, la souplesse d’un brin d’herbe, l’or miraculeux d’un brin de paille… Mais, imperceptiblement, c’est pourtant déjà là que s’amorce l’impression de profondeur, au cœur d’une représentation résolument formaliste, plantée en avant-garde, comme référent de stabilité : la lumière extérieure au tableau vient insensiblement s’infiltrer dans les vernis colorés, s’y épancher et s’y réfracter, entraînant avec elle, le regard observateur.

Déjà toute une poésie intrusive. Magique.

La précision du détail attire : je me rapproche pour continuer l’exploration et c’est, en vérité, une espèce d’atomisation, de « fractalisation », tandis que des roches se fragmentent, des murailles se fissurent, des brindilles se délitent. Des interstices, des percées ça et là, des brèches vers le fond augurent peut-être quelque éclaircie dans la matière. Enfin s’ouvre la croûte terrestre ?

Mais écoutons G.D.H. citant Gaston Bachelard : « dans la connaissance approchée (vision de près), la réalité perd en quelque sorte sa solidité, sa constance, sa substance (…) Réalité et pensée sombrent ensemble dans le même néant, et ce néant, c’est en quelque sorte le détail lui-même. « Le détail correspond à un jeu de perturbations de la matière sous la forme ». Dans le détail, « les déterminations oscillent » : car il « apporte sa richesse, mais (aussi) son incertitude. Avec les déterminations délicates, interviennent les perturbations foncièrement irrationnelles. » S’approcher revient à mettre la vision en obstacle. Le proche fait le jeu de quelque chose comme un aveuglement dans l’ordre même de la visibilité (…) Le regard approché ne sait pas « faire la différence », donc le sens. Il tend à s’épuiser, en sa fascination même, comme un contact aveugle. Le proche est l’obscur, ou bien l’obnubilante clarté, » ajoute G.D.H.

Le détail à l’excès mène l’image au bord de l’illisibilité ou de la disparition. Souvent, je dois rattraper l’image de justesse avant qu’elle ne sombre dans la confusion, pour qu’elle puisse, à la fois, encore signifier des idées sur l’illusion, le kaléidoscopique, le miroitement, l’impermanence ou la transformation, et introduire la profondeur recherchée par l’éclatement de la surface et des contours. Il s’agit de ne pas aboutir au « rien-rien » du peintre Frenhofer, que Balzac, dans son récit, fait s’enliser au-delà des limites de l’art.

Cette instabilité de l’image est aussi l’expression d’une oscillation entre le peindre et le ne pas (peindre). Autant dire un travail sur le fil. Peur de figer mortellement ou crainte de la vanité… Comme le rappelle Michel Lamart, avec un Narcisse « mort d’une beauté qui lui enlevait tout mouvement » et la vanité d’un beau « qui n’est que la mise en forme de sa propre imperfection ».

Le dénouement de ces dilemmes se situe peut-être justement dans le creusement d’un entre-deux, d’une possibilité de passage ouvert entre la profondeur et la surface, sans avoir à choisir l’une ou l’autre, à « départager » dirait G.D.H.

G.Courbet peint la « Vague » dans l’apogée de sa course, cet entre-deux, cette attente, ce moment suspendu, ce semblant d’éternité, cette apnée avant dislocation. Entre l’avant, l’après, il y a le présent qui les contient. La peinture suspension. Rêve d’équilibre, d’unité dans la transformation… Mais, la peinture est plus sûrement faite de tensions contrastées et trouve sa dynamique dans les dualités qui se répondent en échos.

Les composants de la peinture à l’huile réussissent déjà par eux-mêmes, ce principe de l’union des contraires : opacité du pigment et transparence du médium.

Comment alors ne pas rêver à la plus belle des métamorphoses, la matière en lumière et son inverse exact ?

L’or est dans l’un. L’un contient l’autre.

Comment ne pas s’attacher plus à l’idée de peinture qu’à la figuration, toujours approximative ou imparfaite ?

La peinture comme l’amour.

Un peu à part, auprès d’Emily Dickinson, j’ai inclus un petit poème de Claire Maignien, dont je souhaite soutenir l’écriture.

Patricia Camus